Pour une approche alternative de la mobilité

Écrit le 8 Octobre 2018
Urbanisme Mobilité

La voiture a façonné la façon dont nos villes fonctionnent aujourd’hui, tout en étalant nos activités sur des dizaines de kilomètres. Ce système du tout à la voiture a cependant de nombreux impacts négatifs connus depuis bien longtemps. Est-il possible de développer une alternative à ce système, et si oui quelles pistes explorer ? Vers quoi tendent les politiques actuelles ? Existe-t-il des villes exemples en terme de mobilité ?

Source

L’influence de la mobilité sur nos ville

La façon dont les moyens de transports ont été intégrés dans la ville ont modelés les villes dans lesquelles nous vivons aujourd’hui. Si hier les citoyens vivaient, travaillaient, faisaient leurs courses et se divertissaient à une échelle locale, aujourd’hui le constat est tout autre : il n’est pas rare de devoir faire des dizaines de kilomètres pour aller travailler, de faire plusieurs kilomètres pour aller faire les courses et même de devoir se déplacer de façon non négligeable pour aller dans l’espace vert le plus proche, le tout en perdant une part importante de notre temps dans les transports. L’autonomie que procure le système du tout à la voiture a permi ce développement qui a érodé la qualité des espaces publics et la structure sociale cohésive de la ville, en divisant les activités d’une journée en compartiments séparés par de grandes distances¹.

Les problèmes que posent l’utilisation quotidienne de la voiture et le développement de la ville autour de la voiture sont nombreux : pollution sonore, pollution de l’air, accidents², congestion, perte de l’espace public, réduction de la notion de communauté et de l’engagement citoyen. Tous ces problèmes ont été largement étudiés, quantifiés et documentés³.

Et si pour demain nous essayons de développer une offre de transport qui permette aux citoyens de faire les mêmes activités, mais à une échelle plus locale ? Cela ne nécessite pas un retour en arrière mais bien une refonte complète de nos moyens de transports pour développer une ville saine et conviviale.

Les fausses bonnes idées

Les politiques actuelles s’orientent en général vers le développement d’alternatives au véhicules à pétrole tels que les voitures électriques. Cela éviterait les soucis de pollution, mais ne résout en rien les autres problèmes. Partir du constat qu’il faut une voiture par personne ou par famille (deux tiers des voitures en mouvement ne conduisent qu’une seule personne), en prenant en compte le développement démographique, impliquerait toujours plus d’espace public pris par la voiture, toujours une cohésion sociale abîmée, toujours autant d’accidents, et un besoin de toujours plus de construction de voitures, avec l’impact que cela a au niveau environnemental: les matériaux et l’énergie nécessaires à la production de ces véhicules restent écologiquement très mauvais.

Différents constats permettent de s’orienter vers un but à long terme : étant donné que les recherches démontrent que les villes avec moins de déplacement en voitures résultent en une meilleure qualité de vie pour les résidents et visiteurs.

Des villes européennes avant-gardiste en terme de mobilité

Afin de développer des solutions, il est intéressant de regarder à ce qui s’est déjà fait en termes de réduction d’utilisation de la voiture et de développement d’alternatives. Reprenons quatre exemples différents d’alternatives mises en place en Europe.

  • Voitures autorisées mais limitées à Vauban. L’éco-quartier de Vauban à Freiburg, en Allemagne, est un exemple intéressant en termes d’infrastructure et d’urbanisme. Au niveau de la mobilité, Vauban est relié au centre ville par des trams, et la circulation de voitures n’est autorisée qu’à la vitesse de la marche à pied, en vue de livraisons, et sans stationnement. Les propriétaires de voitures doivent s’acheter un emplacement de parking en dehors du quartier à un prix élevé, ce qui a pour conséquence d’agir comme frein à la possession d’un véhicule.
  • Centre-ville piéton à Ljubljana. À Ljubljana, en Slovénie, tout le centre-ville est interdit au voitures. Piétons et vélos y sont nombreux, ainsi que quelques lignes de bus et un service public de taxi électriques gratuit qui est disponible aux personnes à mobilité réduites. Depuis ces développements, les commerces et le tourisme se sont développés.
  • Infrastructure cyclable à Copenhague. La ville de Copenhague, au Danemark, est connue pour sa politique cyclable : plus de la moitié de la population se rend au travail en vélo, et c’est une des villes européennes avec le moins d’habitants qui possèdent une voiture. Cela est dû grâce à leur politique visant une restriction de l’utilisation de la voiture au profit de la mobilité douce à partir des années 1960 : en 1962, l’artère commerciale principale a été rendue entièrement piétonne. La ville est en train de développer un réseau d’autoroutes cyclables pour permettre un accès facile aux banlieues.
  • Sensibilisation des citoyens à Helsinki. À Helsinki, au delà des développements visants à tendre vers une ville sans voiture d’ici 2025, il est intéressant de noter que le service de transports publics visite les écoles et lieux de travail en vue d’informer et de convertir les citoyens à la mobilité douce.

Les 4 fers de lance de la mobilité douce

Il existe 4 politiques de mobilité douce qui peuvent par elles seules avoir un impact considérable sur la mobilité d’une ville. Elles agissent sur le triptyque des moyens de transports doux: les transports en communs, le vélo, et la marche à pied.

  • Gratuité des transports en communs. Comme déjà expérimenté dans les bus à Dunkerque avec une augmentation de 50% de fréquentation, il est nécessaire de viser à une gratuité dans les transports en communs. La gratuité à de nombreux avantages, notamment l’augmentation de la fréquentation des transports en communs au détriment de la voiture et des effets visibles très rapidement, généralement en quelques mois. Cela permet aussi de ne plus exclure une frange de la population qui ne peut se permettre de payer le prix des transports en communs. C’est aussi une mesure qui correspond à la façon dont est financée la mobilité en générale : le transport public est le seul moyen de transport payant, alors que les infrastructures routières, piétonnes et cyclables sont payés par la collectivité. Alors qu’en milieu urbain la voiture représente 80% des budgets consacrés à la mobilité contre seulement 10% pour les transports collectifs, il est temps de remettre en question la gratuité des transports en communs et de la voiture.
  • Développement du réseau de transports publics. L’histoire de la mobilité à Bruxelles mets en évidence que le nombre d’utilisateurs de transports publics n’a augmenté qu’après des développements massifs de son infrastructure¹⁰. Cependant, ces développements sont freinés soit par leurs coûts (pour le métro), soit par le manque d’espace (pour les bus). Un développement du réseau peut aussi se faire de façon très économe en augmentant la vitesse et fréquence des transports. Cela ne va pas de paire avec une infrastructure urbaine ou la place est réservée à la voiture, et doit donc se faire en accord avec une réduction du nombre de l’utilisation de la voiture.
  • Développement de l’offre et de l’infrastructure cyclable. Le développement de l’infrastructure cyclable amène directement une augmentation du nombre d’utilisateurs de vélos¹¹. Récupérer de l’espace actuellement laissé au voiture est la seule façon de développer l’infrastructure de façon juste, sans empiéter sur les trottoirs déjà biens petits. Outre l’infrastructure, l’offre cyclable doit être développée, via notamment la mise à disposition de vélo gratuits (partagés ou pour particuliers), sans quoi les infrastructures cyclables ne profiteraient qu’à certaines classes sociales plus aisées¹².
  • Piétonisation des centre-villes et quartiers commerçants. La création de rues piétonnes a un ensemble d’avantages importants¹³ : outre le fait d’éviter les problèmes liés à la voiture, en termes de pollution et nuisement, de sécurité ou de congestion, la piétonisation de quartiers permet d’animer et redynamiser ces quartiers. La question de la cohabitation entre différents moyens de mobilités douces est à se poser et à régler en fonction des cas : une cohabitation piéton-vélo peut par exemple se faire si pour le flux de piéton reste en dessous de 200 personnes par heure et par mètre de largeur de la voie publique¹⁴.

Vers une politique ambitieuse de la mobilité

La transition vers une ville qui promeut la mobilité douce plutôt que le tout à la voiture est non seulement nécessaire, mais est réalisable comme le démontrent les alternatives développées à travers le monde. La structure d’une ville est intrinsèquement liée à la mobilité, et il est grand temps de développer la mobilité dans nos villes de façon à promouvoir la ville de demain que nous souhaitons, en développant les trois moyens de transports qui pourront survivre dans nos société futures: les transports en communs, le vélo, et la marche à pied. Notons toutefois qu’une politique de mobilité alternative n’est pas suffisante en soi et va de paire avec un ensemble de mesures telles que le développement de petits commerces de quartier, la création de plus d’espace verts, la réduction collective du temps de travail, et bien d’autres.

Pour aller plus loin

De nombreux articles de presse et scientifiques sont repris dans les sources plus bas. Une bonne introduction aux villes sans voiture est fournie par le livret gratuit The little book of car-free cities. En Belgique, le GRACQ et le Fietserbond sont des associations qui défendent les droits des cyclistes et visent à une amélioration de la mobilité douce en générale.


¹ Cahill, M. (2010). Transport, environment and society. McGraw-Hill Education (UK).

² 1.25 millions de personnes meurent chaque année pour cause d’accident des accidents routiers, c’est la première cause de décès chez les jeunes et touche principalement les piétons, cyclistes et motos (source).

³ Boniver, V., & Thiry, B. (1993). Les coûts marginaux externes du transport public de personnes en milieu urbain: estimations chiffrées pour la Belgique. CIRIEC.

⁴ Liveable Cities Team (2017). The Little Book of Car Free Cities. Lancaster: Imagination Lancaster.

⁵ Melia, S. (2010). Carfree, low car-what’s the difference?

⁶ D’Antonio, S. (2016) How Ljubljana Turned Itsel Into Europe’s Green Capital. Citylab.

Helsinki’s ambitious plan to make car ownership pointless in 10 years. The Guardian, 2014.

⁸ Vincedon, S. (2018). A Dunkerque, les transports gratuits, ça paye. Libération.

⁹ Cordier, B. (2008). La gratuité totale des transports collectifs urbains : effets sur la fréquentation et intérêts.

¹⁰ Carton, V. (2018). Offre et fréquentation des transports publics bruxellois de 1950 à 2017. Brussels Studies.

¹¹ Dill, J., & Carr, T. (2003). Bicycle commuting and facilities in major US cities: if you build them, commuters will use them. Transportation Research Record: Journal of the Transportation Research Board, (1828), 116-123.

¹² Steinbach, R., Green, J., Datta, J., & Edwards, P. (2011). Cycling and the city: a case study of how gendered, ethnic and class identities can shape healthy transport choices. Social science & medicine, 72(7), 1123-1130.

¹³ Rues piétonnes. Collectivité Viables.

¹⁴ Groot, R. D. (2007). Design manual for bicycle traffic (No. 25).

Article écrit par Quentin Stiévenart

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