Se réapproprier l'espace public au travers de l'agriculture urbaine

Écrit le 5 Novembre 2018
Urbanisme Environnement

L’accès universel à la terre n’est pas une évidence pour tout le monde, mais est revendiqué depuis bien longtemps. Dans nos villes modernes où peu d’espace est encore laissé à la nature, le concept d’agriculture urbaine permet de remettre cette problématique au devant de la scène. Quelles sont les origines de l’agriculture urbaine, et quels sont ses effets positifs ?

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Le renouveau des jardins familiaux

Les signes avant-coureurs de jardins familiaux datent du 17ème siècle en Angleterre, lors duquel certains groupes de bêcheux décidèrent de prendre possession de terres inutilisées pour y cultiver de la nourriture leur permettant une subsistance de base. Ces groupes précurseurs de l’anarchisme moderne estimaient que tout un chacun avait droit de labour, et que l’accès à la terre était un droit universel.

Les jardins familiaux – aussi appelés jardins ouvriers – ont quant à eux fait leurs premières apparitions dans le courant du 19ème siècle en Angleterre. Contrairement aux mouvements précédents, les jardins familiaux étaient reconnus officiellement. Initialement destinés à la population ouvrière dans le but de leur apporter un complément en terme de resources, ils sont aussi un élément de loisir et de structure sociale, et sont assez vite étendus à diverses catégories de personnes, d’où l’appellation jardins familiaux. Ces jardins étaient un réel outil pour les familles ouvrières.

De nos jours et dans nos villes modernes où tout se passe très vite, l’agriculture urbaine revient en vogue. Cependant, les idées de base derrière le concept d’agriculture urbaine se retrouvent déjà dans les mouvement de bêcheux et de jardins familiaux: se réapproprier l’espace public et mieux permettre à tout un chacun de subvenir à ses besoin, tout en recréant du lien social. À cela s’ajoute une partie de solution pour revenir vers une consommation locale, qui était non-problème durant les siècles précédents.

Remettre au premier plan la localité de la consommation

Cultiver de la nourriture en ville implique directement l’aspect local: la nourriture cultivée en ville n’a non seulement plus besoin de parcourir des centaines, voire des milliers, de kilomètres avant d’arriver à sont point de consommation, et cela implique directement un ensemble d’autres avantages, outre la réduction d’émission de gaz à effet de serres imputé au transport de produit.

Tout d’abord, il n’est plus nécessaire de prendre en compte les chocs dûs au transport dans les produits: à titre d’exemple, les tomates disponibles en supermarché sont généralement cueillies bien avant maturité afin qu’elles soient plus dures et survivent à leur transport, au détriment du goût et de la qualité.

Ensuite, cela permet de revoir la façon dont sont recyclés un ensemble de matériaux dans nos villes, afin de pouvoir les réintégrer directement dans la production de nourriture. Par exemple, les déchets organiques des habitants qui sont compostés via par exemple des composts de quartiers peuvent servir à fournir une base organique adaptée à la culture de nouveaux fruits et légumes, et les eaux grises (eaux usées des habitations mais toujours propres pour certains usages) peuvent être réutilisée sous certaines conditions. Cela permet donc aussi bien une diminution des déchets des habitants car récupération, et d’éviter une dépendance des agriculture urbaines sur des matériaux de bases pour leurs sols. Il devient aussi possible de recycler tout un ensemble d’autres matériaux pour la construction des potagers urbains, à l’instar du Prinzessinnen Garden à Berlin.

Au delà de ces questions pratiques, cela permet aussi de discuter directement des questions non seulement de circuit-court et de réduction des déchets, mais permet aussi de réapprendre des fondamentaux tels que les saisons auxquelles sont disponibles les fruits légumes que l’on mange, et quels sont les fruits et légumes qui poussent sans problèmes dans nos climats. Finalement, la consommation de nourriture locale permet de diminuer notre impact en terme de consommation de biens à fort impact carbonique et la réduction de notre dépendance aux supermarchés.

Se réapproprier l’espace public

Nombre de potagers collectifs existants se sont implantés dans des lieux qui avaient jusque là été laissé à l’abandon. Pousser pour la création de plus de potagers collectifs, au dépens de nouveaux gros travaux de construction, permet de lutter activement contre la densification de nos villes et la privatisation de l’espace urbain pour plutôt développer des lieux communs conviviaux et progresser vers des villes plus vertes.

Au delà de la récupération de ses espaces abandonnés, tout un ensemble d’approches existent pour pouvoir cultiver en ville: que ça soit sur des toits qui sont bien souvent inutilisés, sur les balcons, dans des bacs de culture mis en place par les communes, dans des potagers verticaux, dans les écoles, sur les fenêtres de nos habitations, etc. Les possibilités ne manquent pas et laissent place à la créativité de chacun.

Il faut ici bien chercher à intégrer l’agriculture urbaine dans nos villes actuelles, utiliser les espaces abandonnés et revoir notre utilisation des espaces urbains en général, sans pour autant viser à construire de nouveaux batiments dédiés à la culture.

Recréer le lien social

Un aspect primordial de l’agriculture urbaine, déjà très présent au sein des jardins ouvriers du 19ème siècle, est sa capacité à promouvoir le lien social au sein des quartiers et villes qui adhèrent à un tel projet.

Les potagers urbains, de par leur présence au cœur de nos villes, sont souvent visibles de tous, et permettent à tout citoyen intéressé d’y participer et d’y apporter sa contribution. Au travers de divers événements conviviaux, il est aussi possible de sensibiliser les habitants aux différentes thématiques liées à l’agriculture urbaines déjà abordées ci-dessus: production et consommation locale, gestion des déchets organiques, récupération des espaces abandonnés, etc. Il devient aussi possible d’organiser des formations pour permettre aux citoyens, grands comme petits, de (ré)apprendre la façon de produire de la nourriture dans son quartier, d’organiser un potager urbain, et de vivre en accord avec la nature. Finalement, les notion de partage (de nourriture comme de connaissance), d’interactions, de rapprochement des individus (entre eux et rapprochement de la nature), et d’échange font partie inhérente de l’agriculture urbaine.

L’agriculture urbaine, une agriculture au delà de la production

Il ne sera probablement pas possible d’arriver à substenir notre mode de vie actuelle avec de l’agriculture urbaine, et probablement pas non plus un mode de vie plus simple. Il faudra rester attentif à ne pas tomber dans les pièges de la magie technologique qui permettrait de subvenir au besoin d’une ville au travers de fermes urbaines qui dépendraient d’une consommation énérgétique massive, d’espaces urbains bétonnés énormes, et ne remettrait pas en question notre façon de consommer. Gardons bien à l’esprit que les avantages de l’agriculture urbaines ne sont plus tellement – comme au temps des jardins familiaux – de subvenir à nos besoin primaires en terme de nourriture, mais bien de remettre au devant de la scène la nécéssité de la localité de notre consommation et de la circularité dans nos déchets, de se réapproprier l’espace public, et de revoir les façons de développer lien social dans nos quartiers. Comme le dit Tyson Gersh : « Les vrais avantages de l’agriculture urbaine sont l’engagement des communautés et la revitalisation des quartiers. Nous pouvons avoir un grand impact sur un petit nombre de personnes, mais l’agriculture urbaine ne va pas mettre fin à la faim. »

Pour aller plus loin

Il existe de nombreux potagers urbains à Bruxelles :

Le collectif Incredible Edible Belgium pousse à « partager l’espace public, se l’approprier, cultiver rencontres et dialogues comme des légumes au cœur des villes et des villages ».

Un article du collectif Ezelstad donne pour exemple 10 lieux bruxellois où la nature reprend ses droits sur la ville.

Article écrit par Quentin Stiévenart

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