La nanotechnologie : contribution salvatrice ou bombe à retardement

Écrit le 05 août 2020
Nanotechnologies

Comme ce fut le cas avec d’autres découvertes, l’arrivée de la nanotechnologie ne s’est pas faite sans bouleversements de notre société. Récemment encore, elle fut au centre du débat avec les masques Avrox proposés par la Défense comme mesure de protection contre le Covid-19. Selon les organisations sectorielles Creamoda, Febelsafe et FBT, les masques seraient traités avec des biocides à base d’ions d’argent. Des nanoparticules donc, qui malgré leur potentiel impressionnant (antibactérien dans le cas de l’argent), sont de plus en plus souvent remises en cause pour leur potentielle dangerosité pour l’être humain et l’environnement. Il n’est pas question de prendre position ici concernant cette controverse mais bien de proposer une revue de la littérature scientifique d’une part, et moins spécialisée d’autre part dans le but de délimiter précisément les usages, bienfaits et méfaits de cette technologie encore nouvelle et méconnue.

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Pourquoi donc faire usage de nanotechnologies ?

La littérature scientifique définit la nanotechnologie comme « le développement de la technologie à l’échelle atomique, moléculaire ou macromoléculaire, à savoir environ un centième de nanomètres toute dimension confondue. »*¹ Cela implique inévitablement la manipulation et/ou le contrôle de la matière et la création d’outils, dispositifs et structures à cette échelle très réduite¹. Le domaine de la nanotechnologie est en constante évolution et va modifier durablement les secteurs industriel, médical et de la consommation.

La myriade de possibilités offertes par ces avancées technologiques en ont fait une industrie très lucrative (plusieurs milliards de dollars).² Des chercheurs de la KU Leuven ont par exemple découvert que les tumeurs malignes sont sensibles à l’oxyde de cuivre (aussi utile pour les anti-contraceptifs)³. Ils ont mis ces cellules cancéreuses en contact grâce aux nanoparticules de cuivre, qui pénètrent et empoisonnent les cellules nocives. Les chercheurs sont à même de contrôler ces particules – et éviter que ces dernières n’attaquent les cellules saines – grâce à l’oxyde de fer présent à l’intérieur de ces particules. Vu que les nanoparticules activent le système immunitaire, il est intéressant de coupler cette piste avec de l’immunothérapie. L’oxyde d’or, qui permet de contrôler le métabolisme cellulaire, est aussi utilisé principalement comme facilitateur pour l’absorption de médicaments contre le cancer.

Les nanoparticules constituent également une piste très prometteuse dans le traitement des déchets, l’efficacité énergétique et l’élimination des contaminants de l’industrie². Ces particules microscopiques se retrouvent aussi de plus en plus dans des produits quotidiens. Les oxydes de zinc sont à la base de détecteurs (UV, gaz etc.) et filtres (anti-UV dans les crèmes solaires) mais se retrouvent également dans les peintures, les produits hygiéniques, les pigments et les additifs alimentaires. Idem pour les oxydes d’aluminium, que l’on retrouvent essentiellement dans les polymères, les textiles et vêtements et les peintures. L’argent, quant à lui doté de propriétés antimicrobiennes, apparaît par conséquent dans les dentifrices, shampooings, sprays désinfectants, détergents, savons, dans l’emballage et la conservation de produits alimentaires et dans le matériel médical et chirurgical. Un autre additif utilisé aussi comme facilitateur d’absorption dans certains médicaments est le dioxyde de silice. Il est commun en tant qu’additif dans les produits alimentaires sous le code E551.

Tous les additifs précités sont prisés par l’industrie pour leurs propriétés particulières (conservation, facilitateur d’absorption etc.) mais ce n’est pas le cas de toutes les nanoparticules. Le dioxyde de titane, très présent dans les produits cosmétiques (soins de la peau) et comme additifs alimentaires (M&Ms, …) possède des propriétés purement esthétique (pigment), parfois comme épaississant et anti-UV dans les cosmétiques. Il n’améliore donc pas sensiblement la composition du produit.

Un revers toxique à la médaille

Force est de constater que toutes ces nanoparticules sont prometteuses pour les fabricants. Leur petite taille influence leur réaction avec les composants environnants en comparaison avec des molécules plus grosses d’une même matière. Cela évite de devoir employer plus d’un même matériau pour obtenir l’efficacité requise. C’est le degré d’efficacité qui pose question. En effet, sous la forme nano, ces particules traversent pratiquement toutes les barrières de l’organisme (cellulaires, …) et arrivent dans les vaisseaux sanguins pour se rendre dans les moindres recoins de l’organisme et in fine influencer l’environnement dans lequel elles évoluent.

L’exposition aux nanoparticules peut se produire par voie orale, cutanée, pulmonaire et intraveineuse, ce qui influencera l’étendue de la zone exposée. Ainsi, la propagation dans l’ensemble du corps sera plus importante par intraveineuse, ingestion ou inhalation que par voie cutanée¹. Sans faire prétention d’une liste exhaustive des possibles dégâts causés par l’absorption prolongée et régulière des nanoparticules précitées, les recherches actuelles semblent s’accorder sur trois niveaux de toxicité : la cellule (cytotoxicité), l’ADN (génotoxicité) et le foie (hépatotoxicité)¹.

L’autre aspect de la question concerne l’impact des nanoparticules sur la faune et la flore. Ces particules finissent souvent leur vie en même temps que nos déchets (dans les stations d’épuration, l’atmosphère, les océans, …). Même s’il reste encore une série d’inconnues quant à la persistance, la transformation, la propagation ou l’accumulation de ces particules dans l’environnement, plusieurs études ont constaté une modification des biotopes suite à l’exposition à certaines particules comme l’argent (qui a une action antibactérienne)². Le projet mené par l’Université d’Hasselt pour améliorer la résistance du maïs aux maladies grâce aux nanoparticules d’argent s’est même soldé par un échec, les particules ayant tendance à favoriser la prolifération des micro-organismes pathogènes et à détruire les micro-organismes bénéfiques.

Légiférer une technologie omniprésente mais encore peu inconnue

Actuellement, la législation veut que les nanoparticules récemment développées, dont la sécurité est démontrée et ayant une plus-value particulière (les colorants par exemple ne font pas partie de cette catégorie) soient répertoriées et officiellement labellisées « nano ». Cela ne concerne bien entendu qu’une petite partie des nanotechnologies en circulation, celles déjà créées avant l’entrée en vigueur de cette législation ou ne faisant pas partie des critères énoncés ci-dessus n’étant pas prohibées dans l’industrie.

Ce flou juridique et scientifique ne facilite aucunement la mise en place de balises fiables pour aider les consommateurs, suffisamment déroutés par la composition toujours plus complexe des produits. La littérature scientifique tend à appliquer le principe de précaution quant aux nouvelles nanoparticules développées et sur lesquelles les connaissances scientifiques sont encore trop réduites¹. Cela impliquerait de ne pas intégrer des substances potentiellement dangereuses dans le circuit de la consommation tant que la sécurité des consommateurs n’est pas garantie. Sur base de ces recommandations, il serait intéressant de veiller à éclairer les consommateurs sur la teneur en composantes nanotechnologiques en utilisant par exemple un code couleurs type “feux de circulation” (vert pour les produits à faible teneur, orange et rouge pour les produits à forte teneur).

Le consommateur lui-même peut adopter quelques réflexes afin de limiter l’accumulation de nanoparticules dans notre corps. Lire et tenter de déchiffrer les étiquettes peut déjà aider à identifier les additifs dans un produit, comme les E551 (dioxyde de silice), E171 (dioxyde de titane) et E174 (dioxyde d’argent). De plus, certaines particules sont labellisées « nano » dans la composition de certains produits. De manière générale, plus les produits seront transformés, plus la probabilité de contenir des particules augmentera. Dans la mesure du possible, il est intéressant de privilégier l’achat séparé des composantes d’un produit (pour un médicament par exemple, certaines gélules peuvent être débarrassées de leur enveloppe afin de n’absorber que la substance nécessaire) ou un conditionnement particulier (shampooings et dentifrices solides par exemple). De plus en plus de consommateurs se tournent vers les produits d’« origine biologique ». Nous l’avons vu, ce sont surtout les produits transformés (aliments issus de l’industrie agroalimentaire et cosmétiques) qui contiennent le plus de nanoparticules. Il semblerait donc que les consommateurs “pro bio” soient moins exposés aux nanoparticules. Dans cette optique, les associations de défense des consommateurs comme Test Achats réalisent régulièrement des enquêtes et études sur les produits quotidiens et leur teneur en nanoparticules.

Cela n’empêche que certains compléments alimentaires ou shampooings, par exemple, sont susceptibles de contenir des nanoparticules (principalement comme anti-agglomérants) même si les autres composants sont d’origine naturelle. Comme dit plus haut, des résidus de nanoparticules (comme l’argent) se retrouvent dans l’environnement et entrent en contact avec les cultures. Le label bio ne protège malheureusement pas contre ces résidus.

Mener une vie sans les nanoparticules semble être une douce illusion. Cependant, la liberté de consommer un produit avec ou sans nanoparticules fait partie des droits fondamentaux qui doit être pris en compte par les fabricants. La route est encore longue mais semble prometteuse, au vue de la multiplication des recherches en la matière.

Pour aller plus loin


¹ G.H. Amoabediny et al. ”Guidelines for safe handling, use and disposal of nanoparticles” J. Phys.: Conf. Ser. 170, 2009

² Wilson, N. *”Nanoparticles: Environmental Problems or Problem Solvers? The growing need for interdisciplinary research””, BioScience 68: 241–246, avril 2018.

³ Baetke SC, Lammers T, Kiessling F. “Applications of nanoparticles for diagnosis and therapy of cancer”, Br J Radiol 2015; 88: 20150207.

⁴ Nelissen, E. “[Nanodeeltjes met koper kunnen kankercellen in muizen doden](https://nieuws.ku- leuven.be/nl/2020/nanodeeltjes-met-koper-kunnen-kankercellen-in-muizen-doden)”, KU Leuven, 9/1/2020.

⁵ Bahadar, H., Maqbool, F., Niaz, K., Abdollahi, M. ”Toxicity of Nanoparticles and an Overview of Current Experimental Models”, in Iranian biomedical journal, 20. 10.7508/ibj.2016.01.001, 2015.

⁶ Gupta, R. & Xie, H. “Nanoparticles in Daily Life: Applications, Toxicity and Regulations”, Journal of Environmental Pathology, Toxicology and Oncology. 37., 2018.

⁷ Moeten we bang voor nano’s zijn?, Test Gezond d’août 2018.

⁸ Sillen, W. “[Zilver nanopartikels in landbouwsproeistoffen maken gewassen niet beter, maar net zieker](https://www.uhasselt.be/UH/Nieuws/2019/Zilver-nanopartikels-in-landbouwsproeistoffen- maken-gewassen-niet-beter,-maar-net-zieker.html)”, UHasselt, 2019.

Article écrit par Reynaert D

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