Les budgets participatifs, un processus à la croisée des chemins
Écrit le 8 Octobre 2018
DémocratiePorto Alègre, capitale de l’Etat du Rio Grande do Sul, au Brésil restera célèbre pour avoir organisé le premier Forum social mondial en 2001. La ville marquera aussi l’histoire pour avoir été le laboratoire démocratique qui mettra en lumière les budgets participatifs. Processus qui se trouve à la croisée des chemins, entre participation citoyenne, justice distributive et efficacité technique, et qui accouchera d’une pléthore d’expériences se réclamant de son héritage autours du monde. Mais qu’entendons-nous par budgets participatifs ? Quels en sont les enjeux ? Pouvons nous parler d’un modèle unique ou de budgets participatifs ?
Le budget participatif, une origine antique ?
Si Les cités Etats de la Grèce antique furent le berceau de la démocratie, il ne faut pas écarter le but premier d’une telle gestion. A savoir une gestion efficace des deniers de la Polis qui engendrât une prospérité économique qui n’a pas à pâlir avec nos régimes politique contemporains. Cette stabilité économique reposait sur la capacité de la démocratie grecque à pouvoir lever de nouveaux impôts, à contrôler les dépenses publiques et à équilibrer son budget. Ainsi, En Grèce antique, les débats permettaient d’écarter les gestions irréalistes de la cité. De plus, à l’instar des coûteux budgets de guerre inhérent à cette époque permettaient aux électeurs de créer des consensus sur les réformes difficiles. Enfin durant des siècles, la Grèce antique avait réussi à dépasser ses crises grâce une responsabilisation et compréhension commune de ses choix politiques.
Porto Alègre, un nouveau départ ?
Il faudra attendre 1988, et la victoire surprise d’une coalition de gauche dominée par le Partis des travailleurs (PT) pour incorporer les habitants à l’élaboration du budget participatif. Par la suite, cette expérience deviendra l’archétype de ce qui se fera dans les trente prochaines années en Amérique Latine et dans le monde. Pour reprendre les explications du politologue brésilien Ubiratan de Souza :
« Le Budget Participatif est un processus de démocratie, un processus à la croisée des chemins directe, volontaire et universel, par lequel la population peut discuter et définir le budget et les politiques publiques. Le citoyen ne limite pas sa participation au seul vote pour élire l’exécutif et le parlement, mais il décide aussi les priorités en termes de dépenses et contrôle la gestion du gouvernement. Il n’est plus celui qui aide à la politique traditionnelle, mais devient le protagoniste permanent de la gestion publique. Le Budget Participatif combine démocratie directe et démocratie représentative. »
Ainsi, une grande diversité de budgets participatifs se sont rapidement diffusés en Europe. Dans un premier temps, ce fut essentiellement sous l’effet des forums sociaux de Porto Alegre, fréquentés non seulement par des militants d’ONG, mais aussi par les élus locaux de divers pays. Les participants au Forum d’Autorités Locales pour l’Inclusion Sociale, qui s’est tenu en marge du Forum Social Mondial, ont joué un rôle capital.
Les budgets participatifs, des réalités plurielles
Par la suite, les dispositifs de budgets participatifs ont gagné l’Europe, en particulier le Royaume-Uni, et surtout la Pologne ou la législation nationale leurs sont très favorables depuis 2009, notamment en accordant des fonds directement destinés à la mise en œuvre de budgets participatifs Co-décisionnels à tous les villages polonais. Sous la tutelle de la SLLGO, une association de responsables locaux, les budgets participatifs sont surveillés et améliorés qualitativement. La Pologne est ainsi le pays totalisant le plus grand nombre de budgets participatifs.
A contrario de Porto Alègre et de son processus de codécision entre les citoyens et le gouvernement, le budget participatif de Paris s’apparente plus à une participation de proximité qu’à une réelle élaboration budgétaire des citoyens. En effet, dans ce design participatif, les décisions citoyennes sont souvent consultatives et comprenant peu ou pas d’autonomie vis-à-vis de la municipalité. Dans ce cadre et ce que nommera Daniel Gaxie comme le « cens caché » se trouve renforcé. En effet, sans incitations, résultats tangibles et de décentralisation, ce type de budgets participatifs risquent d’ostraciser de la politique certaines couches de la population comme les jeunes et les chômeurs. Entre ces deux modèles se trouvent d’autres modèles comme celui de Bradford en Grande Bretagne avec la création de fonds locaux à l’échelle municipale indépendant de la municipalité, et dont les participants décident les règles et les projets de façon autonome ou encore celui de la logique néo-corporatiste de Glasgow ou la société civile est le principal acteur des négociations.
On l’aura compris il existe mille et une façons de concevoir le design participatif de ces budgets. Cependant, une constante semble se dégager pour la réussite d’un budget participatif, celui-ci doit posséder une composante de justice redistributive et de relativité indépendance vis à vis de l’administration, ainsi que des résultats tangibles et appréhendables par le citoyen lambda. Ces éléments sont les clés d’un processus réussis.
Et en Belgique ?
La Belgique n’est pas en rade de processus de budgets participatifs, plusieurs modèles se bousculent :
- L’action à l’échelle locale. On peut constater des initiatives au niveau des quartiers. Cette échelle comporte les mêmes caractéristiques que l’opérationnalisation au sein d’une commune, à la notable différence que le budget communal n’est pas réparti par quartier ; en conséquence, la réalité est que le budget participatif ne porte pas sur une partie du budget communal, mais plutôt d’un fond assez faible et souvent déconnecté de l’action communal. Il est à noter que quelques expériences régionales assez limités comme les Quartiers Durables Citoyens en région bruxelloise qui permet de croiser certains enjeux.
- Une seconde logique vise de donner la priorité à certains publics. A l’instar du cycle du budget participatif du CPAS de Charleroi, ces expériences se focalisent sur des groupes spécifiques de la population : des jeunes, des femmes, des enfants, des groupes précarisés. Ces processus ont pour vocations de lutter contre les inégalités politiques. Il s’agit souvent de démarches qui guident l’utilisation des ressources publiques dans des politiques sectorielle ou au sein d’une institution spécifique qui met une partie de son budget dans une logique d’élaboration participative.
- Le dernier modèle s’attarde sur des thématiques ou des enjeux spécifiques comme la santé ou le logement ; mais aussi la question d’une meilleure visibilité des minorités. Les finalités sont quelquefois revendiquées dès le début du processus ; dans d’autres situations, elles apparaissent en cours de route et en deviennent le leitmotiv principal.
En route pour des budgets participatifs ambitieux
Si les avancées des budgets participatifs comme évolution de la praxie démocratique semble en bon chemin en Belgique et à travers de demain, la route est encore jalonnée d’obstacles. Le premier est le manque ou l’inconsistance de volonté politique de trouver un modèle type du budget participatif à l’échelon communal ou régional. Cette définition devra prendre en compte une dimension d’apprentissage budgétaire pour les citoyens mais aussi porter une réflexion politique, sociale et économique entre citoyens et pouvoir publics afin de définir les priorités pour la commune ou la région.
Ensuite, il faudra gommer le « cens caché » et réfléchir le désign participatif pour incorporer et se faire rencontrer les différentes population, territoires et thématiques. Autrement dit, l’élaboration des budgets participatifs ne doivent pas être réservés aux spécialistes ou aux populations possédant un certain capital, elle se doit d’être inclusive. Pour se faire, les pouvoirs publics devront s’appuyer sur des acteurs de la société civile comme les associations et moduler leur démarche au fil du temps et de l’expérience. Nous le pensons que des processus comme les budgets participatifs au-delà de revivifier nos démocraties sont à l’instar des agoras antiques nécessaires à une gestion efficace de la cité.
Pour aller plus loin
Pour plus d’informations sur la gestion budgétaire de la démocratie athénienne:
- David M. Pritchard. Les leçons budgétaires de la démocratie athénienne antique. The Conversation, 2 Octobre 2015.
Pour plus d’informations sur Porto Alègre:
- Marion Get et Yves Sintomer. Porto Alègre : L’espoir d’une autre démocratie. Editions la découverte, Paris, 2002, 135 p.
- Simon Langelier. Le démantèlement du budget participatif de Porto Alegre : Démocratie et communauté politique. L’Harmattan, Paris, 2015, 241 p.
- Tarso Genro et Ubiratan de Souza. Quand les habitants gèrent vraiment leur ville. Le Budget Participatif : l’expérience de Porto Alegre au Brésil. Éditions Charles Léopold Mayer, Paris, 1998, 118 p.
Pour plus d’information sur les budgets participatifs dans le monde
- Yves Sintomer, Carsten Herzberg, Giovanni Allegretti avec la collaboration d’Anja Röcke et Mariana Lopes Alves. Les budgets participatifs dans le monde. Une étude transnationale. Engagement Global, Serie Dialog Global n° 25, 2014, 108 p.
Pour plus d’informations sur les budgets participatifs belges:
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