Biérocratie ou l'essor des bières sociales et solidaires

Écrit le 8 Novembre 2019
Urbanisme Environnement Démocratie

Des moines trappistes ancestraux à la vague des microbrasseries actuelles aux concepts novateurs, le vie brassicole est riche et haute en couleur. Lié à l’héritage catholique et la charité chrétienne, l’aspect éthique de la bière fut présent dès les balbutiements de notre plat pays, notamment via le reversement des bénéfices brassicoles à des causes philanthropiques. Aujourd’hui, de nombreuses microbrasseries entendent inscrire leur activité sur ce chemin, mais qu’en est-il réellement ? En route pour un tour de nos micros !

Cet article est écrit dans le cadre de la Brassicole Solidaire qui se déroule le 9 novembre 2019 à La Serre (Rue Gray 171, Ixelles) de 16:00 à 22:00.

La solidarité brassicole : une histoire belge

L’héritage brassicole des premières bières trappistes a encore une influence aujourd’hui. À l’origine des bières trappistes, les bénéfices tirés des ventes externes de bières à l’abbaye productrice sont réinjectés soit dans l’entretien de l’abbaye en elle-même, soit en aide aux plus nécessiteux. Ainsi des trappistes aussi célèbres que l’Orval ou la légendaire Westvleteren pratiquent la caritas depuis plus de deux siècles au profit des plus démunis. De nos jours, l’association internationale trappiste contrôle les bières qui souhaitent se labelliser « Authentic Trappist Product ». Ces bières doivent satisfaire trois conditions :

  1. Les produits doivent être fabriqués dans l’environnement immédiat de l’abbaye ;
  2. La production doit avoir lieu sous la supervision des moines ou moniales ;
  3. Les revenus doivent être destinés aux nécessités de la communauté monastique, à la solidarité au sein de l’Ordre Trappiste, à des projets de développement et à des œuvres caritatives.

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Au delà des 6 bières trappistes belges, le paysage bucolique belge compte plusieurs centaines d’autres brasseries. Après avoir connu un important essor durant le 19ième siècle, leur nombre a commencé à diminuer irréductiblement durant le 20ième siècle, jusqu’à compter 5 fois plus de brasseries par mille habitants que des pays comme la Suisse. Cependant, pendant les années 80 l’arrivée des microbrasseries venant d’outre-atlantique toucha de plein fouet notre plat pays. Ce mouvement d’innovation brassicole et cette efflorescence zythologique auront pour résultat d’opérer un savoureux mélange de traditions ancestrales et de quête de nouvelles saveurs.

Ce renouveau gustatif ne sera pas le seul changement notable. Cette nouvelle génération de bières et de brasseries vont aussi innover sur l’échelle de distribution, visant une production plus qualitative que quantitative, en considérant notamment des aspects comme la responsabilité environnementale, la favorisation des bassins économiques locaux ou encore la création de liens et solidarité.

Ainsi, l’Abbaye des Rocs, première micro brasserie Belge, créée en 1979, pratiquera déjà l’utilisation de matériel de récupération lors de ses débuts. Dans cette veine, les autres exemples vont se multiplier, réinventant l’esprit originel des trappistes de la tradition brassicole belge, et indiquant que les microbrasseries accompagnent un mouvement plus global de responsabilité sociale et environnementale. À l’heure d’aujourd’hui, les têtes de gondole des microbrasseries − comme la bière Babylon issue de la truculente brasserie Brussels Beer Project, et qui utilise une partie de pain invendu dans sa fabrication − n’ont plus à rougir devant les géants du secteur brassicole.

L’Éco Bière ?

Un premier aspect pris en compte par une part importante du monde brassicole est l’aspect de responsabilité environnementale. Au delà des microbrasseries, des plus gros groupes n’hésitent pas à surfer sur la vague de la production « écologique », comme AB Inbev qui utilise des emballages en plastique recyclé, ou la Chouffe qui prend part au reboisement et revalorise ses déchets. La brasserie Kasteel Vanhonsebrouck possède une charte de responsabilité environnementale similaire à la Chouffe pour limiter l’impact de son processus de production: traitement des eaux, réutilisation des drèches comme alimentation pour les animaux, récupération de chaleur, utilisation de matériaux recyclés, etc. Plus impliquée dans cet aspect, la brasserie Saint Sylvestre vise à réduire son impact environnemental en optimisant son processus de brassage, en particulier par rapport à la consommation d’eau: nettoyage par brossage plutôt que par jet haute pression, capteurs placés aux endroits stratégiques pour réduire les temps de rinçage, récupération des vapeurs d’ébullition pour chauffer l’eau, et récupération de l’eau entre différents brassages.

La responsabilité environnementale est donc un facteur large pouvant aller de la simple considération de l’emballage de la bière, à la prise en compte de son empreinte carbone durant tout son cycle de vie, de la production au recyclage. Dans ce sens, l’émergence de labels écologiques ou éco-responsables vient codifier et institutionnaliser certaines de ces pratiques. C’est par exemple le cas de la Lupulus Organicus qui utilise dans le panel de ses matières premières exclusivement des produits issus de l’agriculture biologique, ou encore de la Brasserie H2O qui a quant à elle complètement adopté le modèle d’économie circulaire.

La drèche, déchet inévitable du processus brassicole

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D’autres pistes environnementales émergent aussi comme la récupération des drèches, déchets inévitables de la production de la bière. Si l’utilisation de ces éléments demeure peu développée, certaines jeunes entreprises comme Beerfood travaillent à recycler la drêche issue de la bière en crackers. D’autres établissements, comme la brasserie De Ryck, reversent une partie de leur bénéfice pour la protection des animaux. Ainsi, la bière éponyme Steenuilke agit dans le sens de la protection des chouettes chevêches.

Des communs brassicoles ?

Au delà de l’aspect environnemental, qu’en est-il des brasseries à finalité sociale ? C’est par exemple le cas de la Brasserie Valduc-Thor, qui investit 5% de ses bénéfices dans des œuvres sociales. Beaucoup d’autres brasseries font similaire. Notons aussi la 100PAP, bière solidaire qui milite pour le droit au logement des sans-papiers.

La bière 100PAP milite pour le droit au logement des sans-papiers.

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Différentes brasseries visent aussi une relocalisation de l’économie et à s’implanter dans leur environnement. C’est par exemple le cas de la Brasserie de la Lesse, qui vise entre autre à la création d’activité en milieu rural, en passant par un commerce équitable et local. Finalement, au niveau organisationnel, de nombreuses brasseries telles que la Brasserie du Renard ou la Brasserie Léopold 7, mais aussi des brasseries précédemment citées comme la Brasserie de la Lesse fonctionnent sous forme de coopératives participatives. Tout citoyen peut devenir coopérateur dans ces projets, et peut prendre part aux décisions de fonctionnement de la coopérative. Un modèle de gouvernance inclusif et transparent qui donne la voix aux citoyens, transformant le rôle ce dernier de consommateur à acteur !

Il est à noter que ces différents aspects sont souvent pris en compte ensemble par certaines brasseries. En effet, chez les bons élèves, on peut citer la Brasserie du Renard qui fonctionne entièrement sous la forme de coopérative sociale, et qui vise aussi à promouvoir la relocalisation économique et industrielle à Bruxelles. Enfin, elle promeut aussi l’emploi local, notamment, le développement via des filières courtes, et ce en collaborant avec de manière juste et équitable avec des cyclistes et autres organismes de remorquable.

La brasserie comme lieu de vie

La brasserie, au delà de la production de bière, est aussi un lieu de vie. C’est ce qu’expérimente par exemple la nanobrasserie de l’Ermitage, qui au-delà de la brasserie en elle-même, organise des événements vivants de lancement de nouvelles bières accompagnés de musique, ainsi que des projections de documentaires. D’autres projets s’ancrent aussi dans une finalité urbanistique. C’est par exemple le cas de la Keelbier qui lutte contre la destruction d’espaces verts pour la construction d’une prison à Haren: pour chaque bière vendue 2€, 0.5€ sont utilisés pour l’aspect juridique de la lutte, et 0.5€ pour la lutte sur le terrain. Ou bien le projet Mobius qui souhaite redévelopper le système urbain en globalité, et qui se lance au travers de la Mobius Beer.

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De plus en plus de microbrasseries orientent leur activité dans des finalités sociales et environnementales, et pensent leur brasserie comme lieu def vie. Cependant, il y a encore beaucoup d’opportunités à explorer, le champ des possibles demeure immense. Aujourd’hui, il est aisé pour tout un chacun de s’approprier la production brassicole via de nombreux outils comme des formations accessibles et complètes pour s’initier à l’art du brassage. Il existe aussi divers moyens de financements alternatifs comme le crowdfunding, ainsi que des programmes de formations entrepreunariales permettent de passer de l’idée au concret.

Pour aller plus loin

Les bières et brasseries présentes lors de la Brassicole Solidaire sont les suivantes.

  • La 100PAP, par une ASBL qui reverse ses bénéfices de vente de bières aux collectifs de sans-papiers pour les frais inhérents au logement.
  • La Mobius Beer, qui par son modèle économique soutient son projet social de ferme pluridisciplinaire où chacun fonctionne telle une coopérative et offre un accès à l’hyppothérapie.
  • La Keelbier, qui soutient la lutte contre la maxi-prison de Haren.
  • La Brasserie Léopold 7, qui offre des bières produites à base de produits locaux et biologiques tout en respectant une méthodes de production soucieuse de l’environnement.
  • La Brasserie du Renard, dont la matière première vient directement des producteurs locaux, utilise des produits bio et qui fonctionne sous forme de coopérative participative.

Article écrit par Thibault Koten, Quentin Stiévenart

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