Zoom sur TERA : l'utopie concrète d'une économie citoyenne

Écrit le 09 novembre 2020
Zoom sur Économie

Pour clôturer notre panel des acteurs de l’économie citoyenne, Cit’light a rencontré Simon, Terian de de l’éco-système TERA, maraîcher et membre du conseil d’administration au développement économique du projet révolutionnaire pour la communauté. Avec lui, nous ferons un petit tour de ce que pourrait être une utopie concrète d’une économie au service du citoyen.

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Cit’Light : Au fil de nos rencontres durant l’écriture de ce magazine, nous nous sommes rendu compte qu’il n’existait pas une définition unique de l’économie. Que signifie pour ce concept pour TERA ?

La définition que l’on pourrait donner de l’économie est la gestion de la maisonnée. En effet, étymologiquement, c’est l’art de bien administrer une maison, de gérer les biens d’une personne, puis par extension d’un pays. Chez TERA, nous considérons plutôt que l’économie est la gestion de la rareté plutôt que de l’abondance : on est en présence de ressources finies qui deviendront rares d’un moment à un autre. L’économie consiste alors pour nous à savoir comment allouer et distribuer au mieux ces biens, tant dans le présent que pour les générations futures.

Cit’Light : Votre projet a mis plusieurs années à émerger. Pouvez-vous décliner les grandes lignes de la création de TERA ?

Frédéric Bosqué est l’initiateur du projet, il se définit comme entrepreneur humaniste et a travaillé dans l’économie sociale et solidaire (ESS) durant de nombreuses années. Durant cette période, il a monté deux entreprises de réinsertion professionnelles qui fonctionnaient bien. Cependant, au fil du temps, il est arrivé au constat que son activité consistait à « réparer » des gens pour les remettre sur le marché du travail, pour qu’ils redeviennent des consommateurs classiques. En bref, tout changer, pour que rien ne change. Suite à ce constat et après une retraite dans un centre bouddhiste, l’idée du projet TERA a doucement émergé.

Il a effectué trois tours de France : un premier pour parler du revenu de base avec l’association MFRB (revenu de base français), un second pour rencontrer les alternatives d’habitats (habitat partagé, ZAD, monastères, coopératives d’habitat) et un dernier durant lequel il a rencontré de nombreuses alternatives en terme d’économie (production d’énergie, alimentation, …). À travers son voyage et ses rencontre s’est créé un petite communauté avec un même constat : bien qu’il existe un grand nombre d’alternatives innovantes et transformatrices, elles n’étaient pas connectées ensemble. Du coup, leurs impacts demeurent bien souvent marginaux et cantonnée à l’échelle locale.

Suite à cela, ils se sont mis en quête d’un lieu pour rassembler toutes ces alternatives au même endroit. L’objectif était de trouver une mairie dans une zone rurale à revitaliser, où la démographie diminue et l’âge augmente, qui ferait un bail de 99 ans. L’idée est qu’à partir de notre arrivée dans un village, nous effectuerons 3 ans d’analyse du territoire (problématiques, besoins, qu’est-ce qu’on peut faire), suivies de 3 ans d’implémentations (démarrage des activités économiques et des constructions) et finalement 3 ans d’évaluation. Concrètement, on est passé d’une envie de mettre sur un pied un écovillage à une envie de créer un écosystème coopératif le plus complet possible.

Cit’Light : Je pense que tu as expliqué clairement la genèse et les enjeux du projet TERA. Mais comment fonctionne concrètement votre écosystème avec les coopératives et entreprises qui voudraient le rejoindre ?

L’écosystème − appelé quartier rural − est composé d’habitants, dont certains touchent un revenu d’autonomie : c’est un revenu de base à 95% en monnaie citoyenne locale, fixé à 1€ au dessus du seuil de pauvreté. À terme, tous les habitants de TERA toucheront ce revenu de base. Ces habitants vont aussi avoir des activités : ils peuvent être auto-entrepreneur et reverser une partie de leurs bénéfices à la structure, qui est pour l’instant une association fiscalisée et qui deviendra à terme une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). La finalité est que les habitants puissent s’échanger des produits et services en dehors du système capitaliste comme nous le connaissons aujourd’hui. Dans ce sens, il existe depuis des années sur le territoire une monnaie locale, l’Abeille qui assurera une circulation écologique et sociale de l’argent.

Emménagement du nouveau quartier rural de TERA

En ce qui concerne l’activité économique sur le site, c’est assez diversifié comme écosystème. En effet, on a un peu tous les types de structures dans l’économie traditionnelle. Par exemple, on a une structure pour gérer l’immobilier (TERA est présent sur trois lieux géographiques différent) ainsi qu’une structure qui va chapeauter les activités économiques de l’ensemble de l’écosystème. Au sein de cette dernière, il y aura différents collèges qui représentent toutes les parties prenantes de la société. On a aussi un fonds de dotation SDH (solidarité pour un développement humain), qui va nous permettre de récupérer du capital financier pour développer des projets et faire rentrer de la monnaie dans le système qui sera redistribuée selon une charte d’utilisation précise.

Ce qu’on voudrait créer à terme, c’est une entreprise à but communal, qui pourrait recevoir du capital privé pour financer la vie économique d’une commune, ce qui permettrait d’aider à développer une agglomération, tout en ayant une gouvernance qui empêche ceux qui détiennent le capital de décider seuls. Les personnes adhérentes à TERA auront alors à disposition un tremplin pour accéder à la création et la pérennisation. On souhaite avoir une économie qui vient au service des humains et de la nature, au travers de la mutualisation et de la facilitation d’accès aux structures.

En ce qui concerne la gouvernance de TERA, elle est directement inspirée de la gouvernance OPAL de Frédéric Laloux. C’est une méthode d’organisation sous forme de sollicitation d’avis : tout le monde peut prendre une décision à partir du moment où il a été se renseigner auprès des gens qui seront impacté par cette décision, et que cette décision a été soumise à l’avis d’expert de la thématique.

Au sein du du conseil d’administration de TERA, on fonctionne principalement au consensus. Ce qui nous aide dans cette démarche, c’est d’aller voir directement le besoin qu’il y a derrière un avis, une idée, ou une revendication. Il faut savoir s’écouter, mais aussi écouter l’autre. Cependant, lorsqu’on n’arrive pas à mettre tout le monde d’accord, on passe sur le modèle du consentement. Concrètement, on fait une première proposition. S’il y a une objection, c’est-à-dire que la décision prise empêchera quelqu’un dans sa vie de tous les jours ou de travailler car ses valeurs seront trop violées, l’idée est tout bonnement écartée. Heureusement, la plupart du temps on arrive à un consensus. On a un ensemble de processus de tour de paroles pour mettre en lumière les conflits potentiels dès leur arrivée. À terme, il y a une confiance et compréhension mutuelle qui apparaît qui libère la parole, et aide à la prise de décisions.

Cit’Light : Nous avons vu au cours de nos rencontre que les acteurs dans la finance et de l’économie citoyenne à tendance à vouloir réformer le système actuel. Est-ce que votre démarche s’inscrit dans une volonté de rupture avec le cadre existant ?

C’est une question compliquée : je ne prends pas ces termes de « sortir » ou de « rester », mais plutôt voir ce dont on a besoin et ce qui ne marche pas pour pouvoir créer quelque chose qui nous permet d’obtenir ce qu’on souhaite. Par exemple, aujourd’hui l’euro ne valorise pas ce qui compte pour nous : pour notre projet, la monnaie n’est pas une valeur en soi, mais un moyen de mesurer la valeur. On peut aussi bien payer en euro un agriculteur écologique, mais aussi l’utiliser pour la destruction de l’écosystème : l’euro n’a pas d’odeur, et on aimerait qu’il ait une odeur. On a donc une charte éthique pour l’utilisation et la circulation de la monnaie (l’Abeille), décidée ensemble. Il y a bien sur toujours le risque que ça soit trop faible, que ça ne soit pas une action de transformation sociale, mais c’est un équilibre à trouver. Pour nous, il y a un ensemble de problèmes et l’enjeu est d’essayer de régler en même temps  

  1. la production (il faut produire ailleurs car on il y a un manque de capacité de production localement)
  2. la distribution (en circuit court pour favoriser l’économie locale tout en évitant les externalités négatives)
  3. les moyens d’échanges (on ne décide pas ce qui valorise l’euro),
  4. la redistribution de la valeur (Elle mesure les richesses nouvelles qui ont été produites au cours d’un cycle de production)
  5. finalement la gouvernance (comment décider du bien commun).

Sur le terrain, c’est une démarche compliquée, c’est une démarche compliquée, par exemple il y a qu’un bistrot dans le coin, mais dont l’activité économique ne correspond pas à la charte d’utilisation de l’Abeille. On aimerait l’accompagner pour qu’il y adhère, mais pour cela il faut y aller pas à pas. Aujourd’hui, il vient par exemple chercher des légumes bio dans un jardin maraîcher. Je suis persuadé, que c’est par le dialogue par et l’amitié qu’on changera progressivement les mentalités. Bien entendu, Alors à l’échelle nationale, c’est un processus beaucoup plus long, mais j’ai envie d’incarner aujourd’hui ce que j’ai envie de voir pour la société, c’est à dire ce qu’on fait ici. On est parti de rien, et aujourd’hui on est une vraie communauté de plus 50 personnes sur le territoire.

Cit’Light : Votre modèle peut-il être exporté, par exemple dans un milieu urbain ?

À l’échelle courte, par exemple 20 ans, je pense que oui. Concrètement, on essaye de faire de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC). Tout d’abord, on est suivi par un conseil scientifique composé de géographes, d’écologistes, etc. Ensuite, on collabore avec un laboratoire d’économie, ATEMIS, qui vise à passer d’une économie industrielle dans laquelle il faut produire plus toujours plus, où seule la marchandise compte, vers une économie de l’utilité du service rendu. Ainsi, on passe d’une offre de produit (par exemple des légumes) à une offre de service (par exemple une nourriture saine et locale). C’est dans ce sens là qu’on souhaite développer notre modèle de société, mais c’est l’étape la plus difficile, car c’est vraiment un changement de mentalité qui est nécessaire. Pour moi, c’est ça le cadre à changer : comment on voit aujourd’hui notre notre apport à la production, à quoi sert notre travail ? Est-ce que lorsque je vends des carottes, on regarde juste le prix d’extraction et de vente du légume, ou est-ce que j’offre un service systémique, ce qui a une valeur − immatérielle − énorme. C’est similaire avec le bénévolat : cela crée souvent énormément de valeur, mais n’est pas reconnu ni valorisé par la société.

On a des villes en France qui sont très intéressantes comme Grand-Synthe, qui sont suivies par ATEMIS, où la mairie travaille avec la population pour créer un écosystème coopératif qui va dans une direction similaire à la nôtre. Ce sont des endroits historiquement miniers, et ils ont réussi à recréer du travail. Je pense que c’est donc possible à l’échelle d’un territoire ou d’une ville. Le levier qui permet ça, c’est le politique. Une fois qu’ils travaillent sur les 4 premiers points cités avant (production, distribution, moyens d’échanges, redistribution), la gouvernance suit souvent. La gouvernance suit toujours l’économie, donc il faut mettre son énergie en priorité sur les 4 points.

Un bon exemple de film qui illustre bien le problème de la monnaie locale est « La monnaie miraculeuse », qui se passe en Autriche avant la seconde guerre mondiale, où c’est la crise économique. Il y avait tout à cette époque : les artisans, les produits, etc., mais il manquait juste la monnaie, donc l’extrême droite montait en puissance. Un maire a créé une monnaie citoyenne locale, et l’économie a monté dans son village, le nazisme a diminué, mais il a par la suite été empêché par la banque nationale allemande. Ce maire s’est inspiré d’un livre de Silvio Gessel, l’inventeur de la monnaie locale fondante.

Cit’Light : Pour finir, quelle est votre actualité ?

On organise des visites de deux jours tous les deux mois, où on présente notre projet, le modèle économique, la gouvernance, la production, etc. Il faut faire une demande par mail. On organise aussi des formations d’initiation à la permaculture sur deux jours, qui reprennent l’année prochaine.

Il y a actuellement un groupe d’habitants du futur quartier rural à Trentels qui est en train de se créer. Ils ne sont pas encore au complet, et il y a une volonté actuellement de regrouper entre autre des artisans et entrepreneurs pour développer cette communauté. On fera prochainement un appel. Pour que le projet puisse vraiment prendre en ampleur, il faut qu’on ait plus d’activité économique qui se crée sur le territoire, et on est là pour aider ces activités économiques − en lien avec nos valeurs − à se créer.

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Article écrit par Cit'Light

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