Un crédit pour les pauvres
Écrit le 17 octobre 2020
Économie CréditL’idée est largement répandue que les pauvres sont de piètres consommateurs. Sans le sou, ils n’achètent rien. L’équation est simple : la vie les a condamnés à la pauvreté et personne ne peut rien pour eux. En 2006, l’invention du « crédit pour les pauvres », a été décorée d’un prix Nobel de la paix. Aujourd’hui, le système de micro-crédit s’est répandu dans plus d’une quarantaine de pays sous diverses formes, avec toujours cette volonté de venir en aide aux personnes les plus démunies. Mais quant est-il derrière cette apparente innovation ?
À partir de cette acceptation universelle, comment penser un seul instant ouvrir l’accès à des crédits bancaires, à des gens qui déjà n’ont pas les moyens de payer pour leurs dépenses quotidiennes, mais qui en plus devraient rembourser un taux d’intérêt lié à un crédit ? « Une perte de temps », diront certains créanciers, « un coup d’épée dans l’eau », diront les banquiers, « une vaste plaisanterie » pour les rois du monde.
Pour paraphraser Galilée : « Eppur esiste »
Et pourtant, ça existe. Le micro-crédit trouve son origine au Bangladesh, en 1976, quand le professeur d’économie à l’université de Chittagong, Muhammad Yunus, examine la possibilité de mettre en place un système d’octroi de crédits et de services bancaires dans les milieux ruraux de son pays. Le crédit pour les pauvres est né
Face au succès de l’entreprise au Bangladesh avec plusieurs milliers de succursales, une décision gouvernementale transforme en 1983 la Grameen Bank en banque indépendante qui permet à l’institution bancaire de se décliner dans différents secteurs, tels que celui de l’énergie ou de la télécommunication, toujours dans le souci d’être attractif pour les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté, et qui n’ont pas accès à ses services élémentaires.
Ce micro-crédit bangladais se destinait (et se destine) traditionnellement aux femmes, qui demeurent un public défavorisé dans un société fortement inégalitaire entre les sexes. En juin 2011, parmi les quelques 8,37 millions de personnes à qui les créanciers ont accordé un prêt depuis sa création, les femmes constituaient 97% des bénéficiaires. Ouvrir l’accès à un crédit aux femmes, dans ce qui reste encore aujourd’hui un des pays les plus pauvres au monde, a permis un impact social important : celui de légitimer la prise de décisions des femmes dans une société jusque-là fortement dominée par les hommes. Sans que cela ait été l’objectif initialement énoncé, par l’attribution de ces crédits aux femmes, la société bangladaise a pu bénéficier de cette avancée sociétale.
Aux Philippines, les arbres qui donnent des fruits (Proverbe philippin)²
À 3.000 km de la Grameen Bank bangladaise, une banque philippine, la First Macro Bank (FMB) s’est également spécialisée dans l’attribution de micro-crédit pour les milieux ruraux. Précédant d’une dizaine d’années la création du système inventé par la Grameen Bank, la FMB propose de mettre en lien des petits entrepreneurs et des créanciers. En 2011, les prêts s’élèvent en moyenne à 225 dollars américains (10.000 pesos philippins, conversion en juin 2011) et sont à rembourser sur une année, ou moins. Pour donner une échelle de mesure, le revenu mensuel moyen national d’un philippin, en 2013, est de 12.154,8 pesos philippins³.
Quand il s’agit de créanciers à but lucratif, la FMB fixe le taux d’intérêt mensuel de ces crédits à 2,5%. Au bout d’une année, avec des charges supplémentaires qui viennent s’ajouter avec l’octroi du prêt (p.ex. des frais de dossier), le taux d’intérêt annualisé du crédit peut aussi atteindre 60% dans les pays en développement. Ainsi pour un prêt de 100 euros qui sera remboursé après un an, il faudra rendre 160 euros. Dans ce sens, La FMB s’éloigne de l’idée initiale de « banque pour les pauvres » et agit plutôt en tant que banque-régulatrice (mettant en lien les offreurs et les demandeurs) entre les entrepreneurs-particuliers et les créanciers.
En Belgique, Crédal un crédit pour tous et toutes ?
« Crédal est une coopérative qui a pour finalité sociale de promouvoir une société plus juste et solidaire, particulièrement en ce qui concerne l’usage de l’argent », peut-on lire en présentation sur leur site internet. La coopérative propose trois leviers d’action à ses clients : un placement éthique (1), un crédit qui s’adresse aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers (2) et un accompagnement avec des conseils (3).
Les crédits pour les particuliers se déclinent en trois sortes :
- Le crédit social, consacré aux personnes désireuses de financer un achat utile à leur quotidien.
- Le crédit vert Bruxelles, attribué aux bruxellois exclusivement qui projettent de faire des travaux d’isolation ou à augmenter la performance énergétique de leur domicile.
- Le crédit Bien-vivre chez soi, réservé aux personnes âgées nécessiteuses d’aménager leurs espaces pour mieux profiter de leurs logements.
La coopérative s’adresse exclusivement à la partie de la population active qui a des revenus modestes et qui touchent déjà des aides administratives, comme par exemple des allocations sociales.
Il n’est pas question d’obtenir auprès de cette coopérative un prêt hypothécaire ou encore une aide pour éponger une ardoise, sauf cas exceptionnels. Les prêts se classent uniquement dans la catégorie de « prêts à la consommation » et non dans celle des « prêts immobilier » : les prêts ne vont jamais s’étendre sur de longues années comme des crédits immobiliers, mais au contraire, ils financent des achats utiles à la vie quotidienne. Le but est d’octroyer un prêt à ceux qui n’en aurait, auprès d’une banque traditionnelle, jamais obtenu en raison justement d’une situation financière que les créanciers aiment qualifier de « précaire » ou « instable ». En cas de litige, les tribunaux de l’arrondissement de Nivelles seront compétents et la loi belge applicable pour trancher le différend entre CREDAL SC, le client et les éventuels garants. Un prêt reste prêt⁴.
Les mesures d’accompagnement sont nombreuses. Crédal propose notamment toutes les semaines, avec un conseiller, des séances d’informations destinées « à toute personne qui souhaite lancer son projet d’entreprise et qui cherche un accompagnement ». Les petites structures de ce type donnent une chance à cette partie de la population délaissée par le monde de l’argent, car le risque de couvrir des frais qui ne seront jamais remboursés est une mauvaise opération pour les banques, comme si cela revenait à parier sur un cheval malade.
Pourtant, la société en mutation qui prend à bras le corps les questions environnementales devient avare des petites structures en ce genre : la récente campagne à succès de la banque belge NewB atteste de cette veine solidaire qui perce lentement les épais nuages ségrégationnistes entre les forts et les faibles, offrant une lueur d’espoir pour un lendemain meilleur.
Aujourd’hui, Credal c’est une centaine de volontaires qui interviennent aux conseils d’administration ; aux comités de crédit ; dans l’accompagnement des entrepreneurs ayant obtenu un microcrédit ; en support sur des matières particulières (communication, droit, etc.). Ils traitent les dossiers dans le souci d’offrir le meilleur accompagnement possible aux particuliers et entrepreneurs. La visibilité de la coopérative auprès de la société n’est hélas pas représentative de la mission digne qu’elle s’est donnée il y a maintenant plus de 35 ans, celle de soutenir les ménages les plus fragiles. Les structures de ce genre manquent à se faire connaître auprès du public cible qui, souvent mal éclairé, privilégie les voies traditionnellement mises en lumière, avec à la clef le risque de se voir retirer la main initialement tendue au début du rendez-vous.
Gardons aussi en tête que si l’entreprise est importante en terme d’équité, notamment sur l’accès au crédit, comme pour ses homologues du Bangladesh et de Phillipine, elle ne supprime pas la pauvreté et les inégalités sociales. Pourtant en demeurant, la voie ouverte par Crédal demeure intéressante, notamment sur son statut de coopérative, et par la nature de prêts qui sont pratiqués. Citons notamment, le Prêt vert bruxellois qui permet d’accéder à un financement à un taux fixe de 0% à 1% pour réaliser des travaux d’amélioration énergétique dans votre habitation. Il est le fruit d’un partenariat entre Homegrade, Bruxelles Environnement, la coopérative financière Crédal et le Fonds du Logement.
Pour aller plus loin :
- L’article « La micro-finance au-delà du mythe : Atouts et limites » de l’observatoire de recherche et de développement d’entraide et de solidarité.
- L’étude sur le microcrédit au Bangladesh¹
- L’article « Microcredit in Theory and Practice: Using Randomized Credit Scoring for Impact Evaluation »²
- L’article « Salaire minimum moyen » de Countryeconomy³
¹: Voir « Étude de la Grameen Bank. Le microcrédit au Bangladesh comme mode d’empowerement », Valérie Gilbert, UQAM, 2008.
²: Karlan Dean et Zinman Jonathan, « Microcredit in Theory and Practice: Using Randomized Credit Scoring for Impact Evaluation », dans Science, New Series, Vol. 332, n°6035, publiée par l’AAAS (American Association for the Advancement of Science), le 10 juin 2011, pp. 1278-1284
³: Countryeconomy, « Salaire minimum moyen », sur Countryeconomy.com, consulté le 07 février 2020.
⁴: Voir les conditions générales des crédits de Credal
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