Interview de Sébastien Biset, coordinateur de la Ferme Delsamme
Écrit le 18 Février 2020
Écologie Environnement InterviewDans le cadre d’Alter’City, Cit’Light a interviewé Sébastien Biset, coordinateur de la Ferme Delsamme de La Louvière. La Ferme Delsamme est un acteur direct de l’écologie pratique et concrète.
Cit’Light. Quel est votre cheminement personnel jusqu’à ce projet actuel de le centre d’insertion socioprofessionnel spécialisé notamment dans le maraichage biologique, qu’est la ferme Delsamme ?
SB. Je suis avant tout historien de l’art et musicien, et professeur dans ces domaines. Après un doctorat mais aussi quelques années passées au sein des collections de musiques expérimentales de la Médiathèque / PointCulture, qui m’engageait alors, et tout en continuant à m’investir dans des plate-formes de programmation culturelle (musique, exposition, édition) et dans l’enseignement, j’ai consacré une part de mon temps à la fondation d’une structure plurielle, à la fois micro-brasserie, espace de boulangerie et de torréfaction de café, de restauration, d’organisation d’événements et de concerts. Ce passage par le monde du privé et de l’entreprenariat m’a appris énormément. Mais il me manquait une finalité sociale qui soit libre de toute contrainte de rentabilité, ou plutôt un équilibre entre un projet qui puisse être à la fois économique et social. J’ai alors souhaité mettre à l’épreuve cet équilibre au sein de l’entreprise de formation par le travail et centre d’insertion socio-professionnel Ferme Delsamme.
Mon parcours ne me destinait pas à jouer un rôle dans le secteur du travail social. Quoique. Venant du domaine de l’art et de la culture, il était clair à mes yeux que le sens que je donnais à mes activités résidait dans leur finalité sociale – articulation des écologies mentales/sociales. J’ai à un certain moment souhaité renforcer cette utilité sociale, et le cadre de la Ferme m’a séduit. Aussi, en tant que professeur, je suis particulièrement sensible aux questions de pédagogie… Le contexte de ce centre d’insertion m’est donc apparu comme un nouveau challenge, où la notion de « culture » retrouve son sens premier, cette action de cultiver, qu’il s’agisse de cultiver la terre, l’autre ou soi-même.
Cit’Light. Pouvez-vous détailler les activités de la ferme, d’un point de vue fonctionnel ainsi qu’économique ? Quelles en sont les finalités écologiques et sociales et comment ces dernières s’articulent dans le modèle économique de la ferme ?
SB. La Ferme Delsamme est une entreprise de formation par le travail et un centre d’insertion socioprofessionnelle émanant du CPAS de la Louvière. Implantée depuis 2002 sur un site naturel et patrimonial d’exception, au cœur du village de Strépy, commune rurale historique de la région du Centre, la Ferme Delsamme est aujourd’hui active dans cinq filières de formation : le maraîchage biologique, l’entretien d’espaces verts, la formation d’ouvriers polyvalents en aménagements extérieurs, l’art de la table / restauration et les techniques du spectacle et de l’événementiel. Elle a pour objectif la réinsertion socioprofessionnelle de personnes connaissant des difficultés sociales, culturelles, familiales ou autres.
Les techniques enseignées permettent la production de biens ou de services visant la socialisation et l’autonomisation des stagiaires, mais aussi l’acquisition de connaissances, d’aptitudes, d’attitudes et de comportements socioprofessionnels devant faciliter leur insertion dans le monde de l’emploi. Le choix du site et l’importance donnée à la culture maraîchère en serres et en plein champ (semis, plantations, soins, récolte, préparation) sont éminemment symboliques, en ce qu’ils contribuent à imager l’expérience de renouveau ou d’éclosion vécue par le participant. Nos formateurs encadrent, transmettent, mais permettent surtout à chacun de se réaliser au travers d’un projet, tout à la fois individuel et collectif.
Chaque année, ce sont approximativement 80 stagiaires qui sont accueillis et formés, mais nos services (abonnement paniers bio, magasin, service d’entretien d’espaces verts, restaurant, service de brico dépannage, techniques de spectacle…) concernent des centaines de personnes. La Ferme privilégie une approche systémique du développement, tout à la fois compris dans ses dimensions sociétales, économiques et environnementales. En cela s’agit-il d’un projet d’économie sociale et solidaire, durable et soucieux de son environnement.
En tant qu’Entreprise de formation par le travail, ce projet a pour objectif un chiffre d’affaire devant être atteint au travers de cinq catégories de recettes.
- La première est la vente de la production maraîchère. Les abonnements aux paniers hebdomadaires, le magasin de la Ferme et notre présence ponctuelle sur des marchés locaux contribuent à supporter une partie des coûts du projet.
- La seconde est le chiffre d’affaire du service « entretien d’espaces verts ». Selon la faisabilité de l’intervention et les disponibilités du moment, et sur base de la situation personnelle du demandeur (âge, handicap, domicile), un devis est réalisé pour les travaux demandés. Ces chantiers externes contribuent également à supporter une partie des coûts du projet.
- La troisième est le chiffre d’affaire du service « brico dépannage », proposé par les ouvriers polyvalents, sur le même principe que pour le service « espaces verts ».
- Une quatrième recette est celle tirée des prestations de régie technique proposée par la filière « techniques de spectacle et de l’événementiel ». Autant d’événements, de concerts, de spectacles et de festivités qui font appel à nos services et sur lesquels travaille, toute l’année, notre équipe de formateurs et stagiaires.
- Une cinquième recette est celle du restaurant social le Pré Vert, tenu par la filière Art de la Table.
Ces recettes sont un objectif en soi, mais la dimension formative et l’insertion (sociale et/ou professionnelle) restent nos priorités. Il faut par ailleurs être réaliste : le challenge social et la rentabilité économique s’articulent ici, dans un équilibre changeant et fragile.
Cit’Light. Pour finir, une question d’ordre plus pratique s’inscrivant dans l’événement Altercity : quelle marge à suivre et conseils donnerez vous à un citoyen ou groupe de citoyens désirant lancer une entreprise sociale analogue à la ferme Delsamme ?
SB. Le challenge « pratique » majeur relève de l’articulation des formes d’écologies, ou piliers du « développement durable » – formule galvaudée, signifiant une économie écosophique. Il faut à tout prix viser la dimension systémique du développement, tout à la fois social, économique et environnemental. Ces trois écologies ne sont pas déliées, ou tout au moins doivent être réconciliées au travers de projets porteurs de sens. À nos yeux, par exemple, la formation, l’insertion socio-professionnelle, le cadre de entrepreneuriat, la sensibilisation aux défis de l’écologie naturelle et la participation citoyenne doivent nécessairement s’articuler, de façon à répondre aux enjeux majeurs de notre époque, à une échelle locale. La pensée qui projette une initiative de cet ordre doit nécessairement tenter de viser cette articulation, dans le concret du terrain, ce qui implique beaucoup de défis et nécessite beaucoup de créativité. Quelle structure (associative, coopérative, société à responsabilité limitée, autre ?) adopter ? Quels moyens et quelles ressources mobiliser, et à quelles fins ? Dans quelle temporalité inscrire ce projet ? Quels bénéfices en retirer, entre les intérêts personnels et les intérêts du groupe ?
Aussi, un groupe animé par le désir de participer ou de créer une telle entreprise est souvent porté par un idéal qui risque de se heurter aux conditions pratiques (financières, structurelles, humaines) de la réalité. Je pense donc que la meilleure raison de porter un tel projet est de répondre, plus qu’à un idéal, à des besoins pratiques, à la nécessité pragmatique de subvenir et de participer d’un modèle économique qui satisfasse les besoins (matériels et immatériels) de ceux qui s’y associeront. C’est le fondement même du socius. C’est cela, faire société.
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