Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es (et ce que tu vaux)
Écrit le 20 février 2020
Environnement ÉcologieLe vêtement, symbole humain, quintessence de l’être. Pour renaître, on se déshabille. Pour être quelqu’un d’autre, on change d’habits. Avec l’industrie alimentaire, celle du textile est l’une des plus rentables. Une industrie dont la base est la surproduction, la surconsommation et sans doute la sur-destruction. Ceci n’est pas une critique mais un constat.
Du drap rêche aux parures multicouches ornementales brodées de diamants, du corset aux lanières de cuir, des voiles en soies au jeans, du bleu de travail au col blanc, le vêtement n’est rarement qu’un tissu utilitaire. Il est également vecteur de clivages sociaux. L’industrie du textile exploite et détruit en masse les ressources naturelles mais également les travailleurs. Loin de moi l’idée de remettre en cause la place du vêtement dans le monde, je pense simplement qu’il serait plus adéquat de repenser l’habillement de manière durable. Quand bien même cela ne sera pas suffisant…
Étape 1. Nous achetons nos vêtements dans un magasin qui a pignon sur rue
Vous et moi, dans notre vie d’européen moyen, avec l’éducation que nous avons eu, nous allons généralement chercher nos vêtements dans des magasins dans notre ville. Nous allons souvent dans des grosses chaînes par facilité. Qu’est-ce que cette facilité signifie ?
Sur l’ensemble de notre garde robe, on ne porte en moyenne que 30% des pièces de vêtements. Dit autrement, 70% de notre garde robe reste pendue à prendre la poussière. Et pourtant, la vente de vêtement a augmenté de 60% en une quinzaine d’année. Nous achetons plus, nous achetons moins cher. Pour continuer dans la compréhension chiffrée de l’industrie textile, intéressons nous au cycle de vie d’un vêtement. Il y a d’abord la production de matière première dont le coton ou le polyester. La transformation de ces matières, le transport, le lavage et finalement le recyclage ou la destruction. A chacune de ces étapes, un problème écologique et éthique fait surface.
Pour produire de la fibre de coton, il nous faut des plantes de coton qui poussent dans des champs localisé majoritairement en Inde, en Chine et aux États-Unis. Ces plantes sont des Organismes Génétiquements Modifiés (OGM) pour qu’elles poussent plus vite mais sont très sensibles aux insectes et aux champignons. Dès lors, un quart de la production mondiale des pesticides est entièrement dédié à la culture du coton. Ces plantes sont des organismes vivants qui grandissent grâce aux nutriments du sol, au soleil et bien sûr grâce à l’eau. Il faut comprendre qu’un t-shirt en coton c’est 2700 litres d’eau soit la consommation durant 17 jours d’un individu en Europe. Et permettez-moi d’insister, ceci pour la fabrication d’un seul t-shirt!
La fabrication du polyester n’a pas son reste, puisqu’on en produit 400 millions de tonnes par an. Cette matière est issue comme le plastique de la transformation de pétrole. Le rejet des Gaz à Effet de Serre (GES) ou l’empreinte carbone est plus de deux fois plus élevée que celle de la fabrication du coton. Pour teindre, laver et assouplir les textiles ainsi produits, l’industrie utilise des substances toxiques et rares telles que le mercure, le plomb, le cuivre et le chrome. En Europe, le règlement REACH de 2007 régule la quantité et les substances autorisées à l’utilisation sur son territoire. Malheureusement, pour les Pays en Voie de Développement (PVD) nous ne pouvons pas en dire de même. Ces substances toxiques sont utilisées sans protection par les travailleurs. Elles sont emportées par une eau filtrée par des stations d’épuration vétuste voir hors d’usage. Ces eaux sales et toxiques sont déversées dans les rivières. L’Inde a vu le nombre de cas de cancer monter en flèche, sans parler de maladie du foie, des reins ou encore une croissance de naissance d’enfants souffrant autisme aggravé. Pourquoi 26% de tous les vêtements sont-ils fabriqués en coton ? Parce que c’est une des matières les moins chères. Un agriculteur de la région du Punjab en Inde, reçoit 60 euros pour 400 kg de fleur de coton. 60 euros par mois cela représente la moitié du salaire moyen en Inde. Avec ces 60 euros il fait vivre sa famille avec un cadeau en prime: les problèmes de santé. Les masques, les gants, les combinaisons, ça coûte trop cher alors qu’il utilise des substances interdites en Europe depuis 2002 comme l’Ethion.
97% de nos habits sont fabriqués à l’étranger. Ils sont fabriqués dans des pays ou les réglementations sanitaires, laborales ne sont pas les même qu’en Occident. Sans aucune exagération, nous pouvons parler d’exploitation et d’esclavagisme moderne. Ces individus sont sous payés pour le dur labeur. Savez-vous que dans l’industrie textile, 85% des petites mains sont des femmes ? Pourquoi presque la totalité de nos Biens sont fabriqués en dehors de nos territoires ? Parce que c’est moins cher : pas de journées de 7 heures, pas de pensions, pas d’assurance, pas de taxes à l’État, pas de normes de salubrité, pas de syndicat, pas de congés payés, pas d’indemnisation en cas de maladie ou d’accident, pas d’obligation d’intégrer les externalités négatives dans le coup, pas de nettoyage, … La mondialisation et la concurrence qui en découle impose des prix aux Biens en se basant sur des facteurs tout autre que le juste prix d’un travail donné ou des externalités négatives émises durant le cycle de vie du produit. Pour faire un t-shirt en coton à 5 euros, il y a forcément de l’exploitation des travailleurs et des dommages irréparables fait aux écosystèmes.
Enfin, on peut parler du lavage de nos vêtements en polyester, en polystyrène etc. Ces matières, nous le savons proviennent du pétrole. Elles ont aussi la fâcheuse tendance à relâcher des micro-fibres de plastique qui sont trop fines pour être filtrées par nos stations d’épuration d’eau. Des particules qui ne sont pas biodégradables et qui se retrouvent dans l’estomac des poissons et dans les Océans pour des siècles et des siècles.
Qui paie vraiment le prix de nos vêtements pas cher ? Ne trouvez-vous pas que c’est une mobilisation d’énormément de ressources telles que le transport, les forces du salariat (petites mains qui cueillent, petites mains qui filent, petites mains qui teignent,…), le sanitaire, le social, l’environnement pour payer un t-shirt à 5 euros? Ne trouvez-vous pas que nous avons perdu le respect du travail accompli, le sens et les valeurs d’une vie et de ce monde qui nous a fait naître? Cette industrie on l’appelle aussi la Fast Fashion. Elle ne laisse à personne le temps de respirer. Les stocks sont renouvelés toutes les deux semaines, les invendus sont jetés. En 2011, Greenpeace sort son rapport “Dirty Laundry” exposant les marques dont les usines en Chine relâchent des produits chimiques dangereux dans la nature. L’ONG a aussi un programme pour nettoyer l’industrie textile appelé Detox My Fashion mais dont ne fait partie que 15% des compagnies de production de vêtement !
Étape 2. Nous achetons nos vêtements dans un magasin éthique, bio
Vous connaissez ces petites boutiques où on dirait qu’il y a 10 pièces sur tout le magasin et dans lequel vous n’osez même pas rentrer pour regarder le prix d’une paire de chaussette en coton bio et fairtrade ? Moi aussi je le connais et malheureusement ce n’est pas un cliché.
Le cycle de vie d’un nouveau vêtement dit éthique c’est le même que l’autre t-shirt de coton aux pesticides, à peu de chose prêt. Prenons l’exemple du Tencel, un tissu doux et agréable fait à base de bois. Ce bois, il vient d’une forêt durable en Autriche ou seul les plus vieux arbres sont abattus à mains d’homme pour laisser de l’espace pour les plus jeunes arbres de pousser. Les solvants utilisés pour transformer ce bois en fibre textile ne sont pas polluants et les teintures sont faites avec des pigments naturels. L’utilisation de l’eau se fait en cycle fermé, autrement dit rien ou presque n’est rejeté dans la nature. Ce qui fait que la fabrication de Tencel nécessite 20 fois moins d’eau que celle du coton. Cependant, comparer au 7 euros le kilo de coton, le Tencel en vaut 16 euros. Les marques qui en utilisent savent bien qu’elles ne peuvent pas vendre leurs jupes à 300 euros. Dès lors, elles acceptent de prendre moins de marges sur les profits. En économie, on parle de handicap concurrentiel parce que non seulement le prix final du vêtement reste cher, et de plus cela produit moins de dividendes.
Certain d’entre nous se disent, je travaille, je gagne ma vie, cela ne me dérange pas de payer plus pour avoir des garanties sur les procédés de fabrication. Pourtant, ce n’est pas « payer plus ». C’est payer le juste prix pour un vêtement de qualité qui respecte ses forces laborales et l’environnement. Un jeans fabriqué sur toute cette terre ne devrait pas coûter moins cher qu’un jeans fabriqué “éthiquement, biologiquement” et en circuit-court sur notre territoire. Je parle d’une différence abracadabresque de prix: de 20 euros le jeans d’une grosse marque à 130 euros pour un jeans dit “organic”. On ne devrait pas donner des adjectifs tels que “bio”, “éthique”, “fair trade”, “eco” a des produits qu’il est normal de fabriquer ou de produire de cette manière.
Plusieurs critiques restent cependant à pointer du doigt. En effet, ces marques éthiques qui se vendent dans des petites boutiques à un prix élevé restent dans un système consumériste. De plus, généralement ces boutiques n’offrent pas un grand choix de tailles qui s’adapterait à toutes les morphologies. En d’autres termes, ces marques s’adressent surtout à un certain public. Vous pouvez faire un tour sur le blog de Happy Green Me qui vous donne notamment une liste non exhaustive des boutiques éthiques en Belgique. Si vous ne connaissez pas vous pouvez aussi passer un coup chez WeCo Store. Enfin, Fashion Revolution est une ONG internationale qui appelle à une rationalisation de l’industrie textile.
Étape 3. Nous achetons des vêtements recyclés et de secondes mains.
Poursuivons notre quête du vêtement parfait. Si on essaie de résoudre les problématiques exposées dans les deux étapes précédentes, évidemment que cette option semble la plus intéressante. Cependant, elle présente des limites également.
En Belgique, nous connaissons tous Les Petits Riens, cette ASBL qui fonctionne en économie sociale et qui aide les plus démunis à gagner en autonomie et ce de façon durable. Outre les Petits Rien, il y a d’autres magasins de seconde main comme Oxfam, Think Twice, Isabelle Bajart, Melting Pot au Kilo, etc. Leur fonctionnement peut fortement différer. Il y a ceux qui revendent les dons de vêtement reçus. Il y a ceux qui achètent par paquet des vêtements qu’ils trient et revendent ceux de bonnes qualités. Mais achètent-ils ces vêtements en Belgique ? En Italie ? Aux Etats-Unis ? Il y a ceux qui achètent les vêtements de grandes marques et Haute-Couture et de bonnes qualités pour les revendre à prix d’or. D’ailleurs, un vrai business de Haute Couture en seconde main a vu le jour. Certaines pièces valent parfois plus cher qu’à l’achat neuf (cf. le sac Birkin en peau de crocodile).
Ce qu’il faut savoir aussi c’est que les vêtements sont triés sur le volet par rapport à l’état et la qualité de le pièce. Tout ce qui n’est pas accepté ou vendu et envoyé en ballotin dans les pays en voie de développement et surtout en Afrique. Il y a aussi ce qu’en anglais on appelle Upcycling qui signifie faire de nouvelles fringues avec des vieux habits recyclés. La méthode la plus courante c’est de découdre les pièces et d’utiliser les pans de tissus pour refaire un nouvel ensemble. On peut aussi broyer les tissus et les refiler. Cette méthode est aussi utilisée pour créer d’autres choses qu’un vêtement via une technique de défibrage qui donne lieu à une matière appelée le Shody qui sert notamment à fabriquer des plans d’isolation sonores ou d’isolation tout court pour les automobiles.
Étape 4. Nous pouvons troquer nos vêtements.
Une seule phrase suffit ici : on donne un vêtement, on reçoit un vêtement. Participez donc à Pandri, la garde-robe tournante.
Il n’y pas de modèle parfait c’est vrai mais il est temps d’être en cohérence avec notre environnement en rationalisant notre façon de vivre et donc de consommer. Ne nous rendons pas complice du désastre écologique, de la maltraitance des travailleurs et de la santé des humains et de la Terre. Cela ne sert à rien de déprimer ou de s’interdire de vivre puisque nous n’avons pas choisi le monde qui nous a vu naître. Posons les actes qui font sens avec nos valeurs et nos désirs. Agissons tous les jours dans la mesures de nos moyens. Il est plus important de retrouver le sens des vraies choses et agir en adéquation avec elles plutôt que de culpabiliser et de broyer du noir. Personne n’est parfait, faisons simplement de notre mieux.
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